Bulletin de l'ALSFX, automne 2010
Les «terrains orphelins»
La municipalité de Wentworth-Nord a créé le Comité des terrains orphelins dans le but de déterminer la vocation de ces lots abandonnés par leurs propriétaires et qu’elle a récupérés grâce à la loi 212. Le comité est un organisme consultatif.
M. André Soucy, qui représentait votre association sur ce comité, y siège maintenant plutôt en tant que conseiller du district et il en est le président. Votre exécutif m’a désigné pour le remplacer. Mais sans vous informer de l’avancement du dossier et sans connaître, en échange, vos opinions sur ces questions, comment pourrions-nous bien vous représenter?
Au lac Saint-François-Xavier, les «terrains orphelins» qui font ici l’objet de l’attention du comité, sont situés principalement autour de la partie ouest de la section Newaygo du lac, non accessible par route.
Parmi les objectifs sur lesquels se penche le comité, il y a :
-Permettre, s’il y a lieu et si possible, de faire correspondre la superficie des terrains bâtis à «l’espace viable» requis selon les normes d’aujourd’hui.
-Donner un accès par voie terrestre à chacune de ces mêmes propriétés; mais sans que ce dernier ne débouche sur le corridor aérobique.
-Conserver la majeure partie des terrains, non utilisés pour les deux objectifs précédents, en espaces verts.
La première séance du comité à laquelle j’ai participé a eu lieu le 6 octobre dernier à l’hôtel de ville. L’agenda comportait la rencontre d’un arpenteur-géomètre appelé à donner son avis technique sur le projet d’accès routier aux propriétés visées, ainsi qu’une estimation des coûts rattachés à cette option.
Dans sa demande à l’expert, le comité (ou la municipalité…) s’intéressait plus précisément à l’application sur le terrain des rues indiquées au cadastre, à la situation du «sentier» existant, ainsi qu’à un tracé optimal de rue.
Il est à noter que l’emprise de 20 pieds des rues proposées sur le cadastre actuel, à 200, 400 et 600 pieds de la rive, ne permet pas la construction d’une rue répondant aux nouvelles normes qui en exigeraient au minimum le double. Leur emplacement virtuel ne correspond pas forcément davantage au tracé optimal.
Une estimation des opérations préliminaires à effectuer : cartographie, arpentage, ingénierie peut-être, etc., de leur coût ainsi que de celui de la construction de routes, ne pourrait être précisée qu’en fonction d’une demande plus ciblée de la municipalité; ce sur quoi on allait devoir se pencher. Le reste de la séance allait essentiellement porter sur le rappel des considérations entourant ce projet de voies d’accès.
Si la municipalité empruntait les fonds nécessaires à la construction de voies publiques, les sommes en seraient imputées proportionnellement aux propriétaires touchés, selon une formule à établir; et le remboursement, par taxation, échelonné sur la période fixée.
La municipalité ne pourrait prendre en charge un emprunt pour la construction d’un chemin privé. Éventuellement cependant, l’entretien ultérieur d’une telle route, conforme aux normes, serait envisageable.
La disponibilité nouvelle des terrains orphelins serait une occasion unique de procéder au désenclavement des propriétés. Elle pourrait permettre aux résidents de rendre leurs installations d’évacuation des eaux usées conformes à la réglementation. Ces derniers se verraient aussi assurés de l’accès aux services publics et privés dont jouissent déjà les autres résidents.
Face au projet de voies d’accès ou autre, l’ALSFX a-t-elle déjà fait son choix? Elle peut en tout cas rappeler sa mission de voir à la protection du lac Saint-François-Xavier. Mais le bilan global de ces projets, en rapport avec ce seul objectif, ne reste-t-il pas à être évalué?
La consécration en espaces verts des terrains orphelins, non requis pour les projets déjà mentionnés, devrait cependant faire l’unanimité.
Par contre, le désenclavement proposé d’une importante superficie de terres attenantes au lac n’exciterait-il pas la convoitise de promoteurs immobiliers sur les terrains privés éventuellement disponibles? La réalisation de leurs projets accroîtrait la pression sur l’écosystème fragile existant. D’autant plus que l’on transformerait une zone de villégiature estivale en un secteur parsemé, plus tard, de chalets quatre saisons et de résidences permanentes.
La construction de voies d’accès, de bretelles individuelles de raccordement et d’autant d’aires de stationnement pourrait causer un accroissement ponctuel de la sédimentation destinée au lac ainsi que des effets permanents dans le même sens. La MRC des Pays-d’en-Haut rappelle que la mauvaise gestion de l’érosion causée par ce type de réalisations est l’une des principales causes de l’eutrophisation des lacs au Québec, tout en insistant sur l’application de la réglementation sur les eaux usées.
Carl Chapdelaine
Montfort Leduc
Fils d’Eustache et d’Agnès Matte1, c’est le premier bébé masculin à avoir été baptisé à Montfort, en 1883; c’est du moins ce que m’affirme son gendre, Jean-Louis Levasseur. Je viens de rencontrer ce dernier lors de ma promenade quotidienne, à Montréal.
Je ne sais plus comment Montfort est venu sur le tapis, mais il m’a dit qu’il était arrivé à l’orphelinat adolescent, vers 1945, et y était resté trois ans. Il avait perdu sa mère quelques années plus tôt et s’y était retrouvé sous les bons soins des frères de Sainte-Croix2. Les Filles de la Sagesse y étaient aussi; elles s’y occupaient depuis le début des plus petits, et aussi de la cuisine, du vestiaire, de l’infirmerie, etc.
L’institution, sur le site de l’actuel Val Lisbourg3 mais démolie depuis, appartenait alors au gouvernement. On y traitait très bien les jeunes. Le supérieur était le père Barbeau, et l’aumônier, toujours vivant, le père Ares. Les gens du village venaient à l’orphelinat pour la messe du dimanche. Plusieurs montaient au jubé, en fer à cheval autour de la nef comme à la basilique Notre-Dame de Montréal.
Un arrêt de chemin de fer desservait l’institution; puis le train à vapeur s’arrêtait à la gare, à la jonction de l’autre partie du lac. Il arrivait le vendredi. Dans ses bagages, il y avait les bobines d’un film; la diffusion avait lieu le vendredi soir pour le public du village et le samedi soir pour les orphelins. Il y avait rediffusion le dimanche lorsqu’il faisait mauvais temps. Le train repartait le lundi. On montait aussi des pièces de théâtre et l’on tenait des concerts. Le quatuor Alouette. fut au programme, de même que le jeune chanteur prodige, Gérard Barbeau, soprano de renommée mondiale4.
Il se souvenait de la petite centrale électrique, alimentée en eau du «lac Saint-François» par une grosse conduite de bois ceinturée de fer dont on ne voit plus que les supports de béton à côté du village. J’avais plutôt cru que c’était pour la scierie; mais ça c’était peut-être «du temps des Montfortains». Pour la baignade, il y avait l’étang proche. «Et le petit pont de bois?» Il y était aussi; mais parlions-nous du même?
Les garçons de divers âges étaient regroupés en trois clubs. Le Rotary de Saint-Jérôme donnait beaucoup pour les orphelins, dont trois chalets sur le lac Chevreuil dans lesquels se retrouvaient les groupes. Il m’a parlé des descentes de ski et du remonte-pente du mont Pelé(e), près de l’orphelinat; on pouvait presque aboutir sur le lac en contrebas. Il se rappelait avoir fait une descente hors piste et avoir atterri dans la «sloche» sur le lac non complètement gelé. Ses skis s’étaient cassés et il en serait donc privé pour un certain temps.
Le Rotary en avait offert une paire à chaque jeune orphelin et ils skiaient souvent. Par une piste avoisinante, on atteignait un bon sommet d’où l’on pouvait voir l’oratoire Saint-Joseph, à Montréal. Était-ce là aussi que se trouvait la «côte d’un mille», comme ils l’appelaient? En excursion de ski, les jeunes longeraient le lac Chevreuil et descendraient jusqu’à Morin-Heights, comme aujourd’hui. Là, les frères leur payeraient des tablettes de chocolat au «restaurant»5 et le billet de retour pour Lisbourg en …train!
L’actuelle église, maintenant surtout utilisée comme pavillon de loisirs, avait hérité du mobilier de la chapelle de l’orphelinat : l’autel, les bancs, des petits vitraux encadrés de bois, etc. Je lui dis que les deux grosses cloches avaient été volées récemment. Un cimetière lui fut adjoint; mais il y en avait deux plus anciens, un pour les frères il me semble et l’autre pour les soeurs, au lac Chevreuil, près de la route. Il va m’indiquer où tout ça se trouvait, si nous nous y retrouvons un jour ensemble (pas au cimetière…)
Il y avait une ferme près de cette route. Les Leduc élevaient aussi quelques vaches. C’était rare dans le coin; ils en tiraient ce qu’il leur fallait et le reste était pour l’orphelinat. Les frères descendaient en camion à Montréal chaque semaine et en revenaient chargés de nourriture et autres produits de nécessité. Les filles fréquentaient leur propre école; jadis Agnès y remplaçait occasionnellement le professeur. Elle repose maintenant au cimetière de l’église. Il y avait aussi l’hôtel du village; sa belle-mère, y chantait parfois. Dans la vingtaine et dotée d’une belle voix, elle n’était pourtant pas du genre à se retrouver dans un tel endroit. Elle avait rencontré Montfort au village; il travaillait à l’orphelinat.
L’un de ses confrères de classe se nommait Chartier; il venait de l’extérieur; en hiver, il chaussait ses skis pour se rendre aux cours. Était-ce Monsieur Chartier que je venais de voir, la scie à la main? Avait-il déjà travaillé à entretenir les grandes galeries de bois de l’orphelinat?
Ils étaient allés à l’anniversaire de fondation de l’institution, dans les années 80 (c’était assurément pour le centenaire, en 1983; pour celui de son beau-père également. Mais il ne pouvait croire que l’orphelinat remontait à si loin; pour lui, c’était l’œuvre de la congrégation de Sainte-Croix). Il y avait bien du monde ce jour-là. Il a gardé le livre publié à cette occasion, mais il est à leur chalet, à Ferme-Neuve, où Montfort et son épouse avaient déménagé et où sa propre femme avait toujours de la parenté. C’est là qu’elle avait vécu. Son grand-père Eustache y a été enterré. Ils vont y passer du temps à chaque année; et pourquoi pas en hiver, pour en profiter? Ce n’est pas si loin; puis c’est ridicule de fermer un chalet pour cette saison et de n’y aller que l’été pour s’y retrouver tout le temps à travailler…
Comment allais-je pouvoir garder contact avec Jean-Louis? J’avais tellement besoin de lui pour apprendre toute l’histoire de la bouche de quelqu’un qui l’avait vécue. Mais, il était très jeune à l’époque; c’était bien loin tout ça!
Carl Chapdelaine
1. Mariés en 1875, Eustache Leduc est le fils d’Eustache Leduc et d’Aurélie Cyr. Suite au décès d'Agnès, notre Eustache épousera Cérilda Forget en secondes noces, en 1912. (Sources : Fernand Janson et D. Daniel É. Hombourger sur GeneaNet.)
2. Le Frère Saint André en était membre.
3. Le village de Montfort avait pris le nom de Lisbourg, c’est-à-dire Le Bourg des Industries Scolaires (L.I.S.) ; (source : site internet de Val Lisbourg). C’était alors l’orphelinat de Lisbourg.
4. Gérard Barbeau sur Youtube. Gérard était-il parent avec le supérieur?
5. On dirait un dépanneur aujourd’hui.
Tête de huard et Truite agile
On l’avait surnommé Tête de huard car il s’était coiffé de plumes de cet oiseau trouvées sur la rive de son lac, aujourd’hui le lac Saint-François-Xavier. Accompagné de sa fille, Truite agile, il revenait du Sud, de la Grande Rivière (l’Outaouais) qui descend jusqu’à Hochelaga. Bien sûr, il ne se serait jamais approché seul de ce village iroquois, ni même du «lac des Deux-Montagnes», du temps où ses ennemis des Cinq Nations y régnaient. Ils étaient, eux, membres de la tribu des Weskarinis, des Alquonquins. Peuple nomade, ils vivaient de cueillette, chasse et pêche, sous la protection de Grand Manitou. Leur territoire ne se prêtait d’ailleurs guère à la culture pratiquée par les autochtones de la plaine.
Le campement d’hiver de Tête de huard et de sa fille, au pied de notre majestueux lac, comportait une vingtaine de personnes. Leurs ancêtres le fréquentaient probablement, depuis longtemps. De là, ils pouvaient soit descendre l’escarpement vers le lac «Chevreuil», et, en empruntant la rivière «à Simon», se rendre jusqu’à la «Rivière-du-Nord», où étaient établis d’autres Weskarinis. Ils pouvaient, au contraire, remonter leur lac et rejoindre le lac «Saint-Victor», puis une petite rivière qui les mettaient encore en contact avec des membres de leur tribu, installés tout au long de la vallée de la Rivière Rouge et de ses affluents.
Ils avaient passé l’été dans un campement près de l’embouchure de la rivière de la «Petite-Nation». C’est précisément le nom que les Français allaient leur donner; était-ce parce qu’ils vivaient en petits groupes contrairement aux Iroquois, plus sédentaires et souvent installés dans des bourgades? Près donc de ce qui est devenu Plaisance, ils retrouvaient nombre de membres de la Petite Nation. Ces derniers étaient autrement dispersés plus au nord au cours de l’hiver, sur de vastes territoires de chasse, dans les «Pays-d’en-Haut», près des cours d’eau qu’ils avaient empruntés pour ces retrouvailles sur l’Outaouais. Ils y accueillaient également des Algonquins descendus depuis encore plus loin par la Grande Rivière, les Kitchesippi1. Ils y pratiquaient aussi, depuis longtemps, des échanges commerciaux avec les autres peuples autochtones amis.
Ils étaient descendus au printemps par un interminable sentier et les cours d’eaux sur lesquels ils s’étaient laissés emporter. La route avait été empruntée par d’autres, même bien avant eux, et elle les amenait à traverser plusieurs lacs où parenté et amis pouvaient les accueillir. Ils avaient ainsi rejoint l’Outaouais où leur léger canot d’écorce leur permettrait une grande mobilité tout au long de la belle saison. Là, aussi, Truite agile aurait peut-être un jour l’occasion de trouver l’élu de son coeur; l’automne venu, elle ne reprendrait alors pas le même chemin que son père.
Maintenant que l’heure était au retour vers leur lac, aucune rivière n’allait vouloir les porter; il faudrait portager entre chaque lac qu’ils reverraient sur leur chemin. Puis, une fois revenus dans leur campement d’hiver, ils devraient, avec les autres, se mettre à chasser à plein temps et faire ample provision de gibier et de poisson, de bois et autres ressources de leur environnement qui leur permette d’affronter et de survivre à la froide saison. Il leur faudrait aussi piéger et apprêter les peaux des castors et autres mammifères utilisées pour la traite des fourrures avec de nouveaux venus dans les grandes vallées du Sud, les Français.
Leur séjour sur les bords de l’Outaouais les amènerait-t-il à croiser bientôt les Ouendats (Hurons), chassés de la «Baie Georgienne»2 par les Iroquois, et avec lesquels leur nation s’était alliée? Avec, en plus, les Montagnais de l’Est, ils allaient d’ailleurs entrer dans le camp des Français et ils en obtiendraient protection contre leurs traditionnels ennemis. L’histoire annoncerait la défaite des Français contre les Anglais et leur propre disparition, vers 1653, sous les coups de leurs farouches adversaires. Mieux armés, ces derniers venaient déjà de sceller le sort de la Huronie. Nombre de leurs territoires allaient, semble-t-il, longtemps être privés de toute population jusqu’à la colonisation par des Blancs. Le mode de vie autochtone dans les Laurentides s’était évanoui.
1. Qui signifie Grande rivière en algonquin. Le nom Outaouais désignait d’autres autochtones.
2. La rivière Mattawa, un affluent du Haut-Outaouais, permet de passer dans le bassin du lac Huron. C’était sur la route des fourrures, de Montréal jusqu’au lac Athabaska (en Alberta).
Source : Certains faits historiques sont tirés de : «Les Laurentides» de Serge Laurin, éditions de l’IQRC. La plume est du soussigné. Carl Chapdelaine